
26 ans. Et voilà que commence à affleurer le conflit, ce conflit propre à beaucoup de femmes. Celui qui, bien sûr, est exprimé clairement dans le titre de cet essai quand il reste sous-jacent, voire refoulé en nous.
La femme, dans ce débat, est multiple : carriériste, indépendante, féministe, maitresse… La mère aussi est multiple même si la facilité pousse trop souvent à la dialectique mère indigne ou mère aimante.
Dans l’essai très documenté (d’études scientifiques à de belles références littéraires contemporaines – Marie Darrieussecq, Eliette Abecassis – en passant par des sources plus philosophiques) que propose Elisabeth Badinter, c’est à la fois toute la femme et toutes les femmes qui sont présentes.
Toutes présentes, elles sont cependant considérées différemment. En effet, si toutes les postures que nourrit la société sur les femmes sont visées, quelles qu’elles soient, ce sont surtout les positions naturalistes qui sont mises en cause. Ces dernières reviennent en l’occurrence aujourd’hui sur le devant de la scène et font l’actualité du discours sur la maternité. Un discours qui conduit au tout ou rien pour des femmes désormais en capacité de choisir c’est-à-dire soit à la victoire du don à l’enfant sur le « moi d’abord » de sociétés individualistes, soit à son contraire.
L’auteure s’émeut d’un réel retour de la Mère nature prônée par Rousseau. Elle n’est pas contre mais défend le choix de toute femme et s’en prend au processus de culpabilisation visant les mères qui ne se consacrent pas 100% à bébé, qui n’allaitent pas (et bien sûr pendant au moins 6 mois, à la demande), qui ne pratiquent pas le « co-dodo » ou le peau à peau, qui n’arrêtent pas de travailler… bref qui ne se sacrifient pas à l’enfant roi.
Le discours qu’elle dénonce, porté notamment par Edwige Antier (dont j’ignorais le parcours politique mais connaissais la voix par le biais des stations de radio-France sur lesquelles elle tient des chroniques en qualité de pédiatre), est ici fortement mis en cause. Elisabeth Badinter dénonce un système qui a évolué aux dépens de la femme du don de la vie à la dette. Auparavant, la femme, le couple en réalité, donnaient la vie. Aujourd’hui, la femme, le couple, donnent la vie en connaissance de cause et donc existe une dette envers l’enfant. Un enfant choisi et dont on serait redevable :
« Dans une civilisation où le « moi d’abord » est érigé en principe, la maternité est un défi, voire une contradiction. Ce qui est légitime pour une femme non-mère ne l’est plus dès que l’enfant paraît. Le souci de soi doit céder la place à l’oubli de soi (….). Du don de la vie de jadis, on est passé à une dette infinie à l’égard de celui que ni Dieu ni la nature ne nous impose plus et qui saura bien vous rappeler un jour qu’il n’a pas demandé à naitre ».
Le contexte de crise économique redonne sans doute de l’importance à ce discours : à partir du moment où l’emploi n’est pas, ou n’est pas gratifiant, il est sans doute plus facile pour certaines femmes de ne pas concurrencer les hommes sur leur terrain et de regagner la maison où se construit le personnage de la mère. Mais c’est un schéma qui va contre l’égalité des sexes, contre le couple même. Et c’est également un schéma qui va contre la natalité. Ainsi, Elisabeth Badinter fait le lien entre les sociétés qui érigent un portrait de la mère parfaite (l’Allemagne ou le Japon) et l’absence de natalité. Elle loue au contraire la France où, jusqu’à présent, la distinction entre la femme et la mère reste maintenue et où de fait, la natalité reste vive.
Cet essai est impressionnant. En décrivant et en décriant les pratiques naturalistes – qui rejoignent les discours écologiques dans la construction d’une mère qui préfère les couches en tissu ( !…) – et arriérées, ce livre est tout d’abord effrayant. J’avoue que je ne m’étais jamais confrontée à des discours aussi anti-féministes et aussi décourageants. Si faire le choix d’avoir un enfant, c’est faire le choix de se sacrifier… D’un autre côté, Elisabeth Badinter est rassurante : elle confirme qu’il n’est pas monstrueux, même si c’est à contre-courant, de vouloir mener de front une vie de femme et une vie de mère. Si l’instinct maternel n’est pas inné (cf L’amour en plus, autre opus décrié de la philosophe), il peut être partagé par des femmes dont les envies diffèrent : contre le discours féministe ambiant, il y a en fait moins d’intérêts communs aux femmes qu’aux hommes.
Après tout, il y aura toujours un conflit entre les femmes, en fonction de leurs choix de vie. Mais il y aura toujours, sous-jacent, un conflit au sein de la femme. Le tout est de ne pas revenir en arrière, à une époque où la femme n’était rien d’autre qu’un utérus. Et pour se faire, de réagir au discours naturaliste ambiant. Pas parce qu’il est naturaliste. Mais parce qu’il est intolérant.
Rouen, le 11 septembre 2011.
Claire
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